FICHE TECHNIQUE
Titre original | Twelve Angry Men |
Année | 1957 |
Genre | Drame, film de procès |
Nationalité | Américaine |
Durée | 1h35 |
Réalisateur | Sidney Lumet |
Scénariste | Reginald Rosa, d'après la pièce de théâtre du même nom |
Interprètes | Henry Fonda, Lee J. Cobb, Ed Begley, Jack Warden, Martin Balsam, Jack Klugman, John Fiedler, E. G. Maeshall |
SYNOPSIS
Un jeune homme d'origine modeste est accusé du meurtre de son père et risque la peine de mort. Le film débute alors que son procès touche à sa fin et qu’un jury de douze hommes écoutent le discours las et monotone du juge. A huis-clos et sous une chaleur étouffante, ils vont devoir délibérer et décider unanimement du jugement final, si l’accusé est coupable et donc condamné à mort, ou s’il est non coupable. Alors que le jury s’installe autour de la table, la plupart des membres montrent leur volonté de se débarrasser de ce jugement assez rapidement, pour raisons dues à la chaleur, raisons personnelles etc… Mais les résultats du vote annoncent 11 « coupable » et 1 « non coupable ». Alors qu’officiellement, tout condamne le jeune homme, le juré numéro 8 lui accorde le bénéfice du doute. C’est ainsi que les débats commencent …
MISE EN SCÈNE
Douze hommes en colère nous offre une mise en scène excellente. Le film de Sidney Lumet est adapté de la pièce de théâtre du même nom, écrite par Reginald Rose, ainsi on retrouve une ambiance de pièce dans un film notamment grâce à la règle des 3 unités : un lieu, un jour, une action. L'espace du huis clos réduit les mouvements de caméra, mais intensifie le rythme des scènes et permet des dialogues plus travaillés, bien pensés, le tout mis en action par une distribution excellente. Reginald Rose parvient brillamment à conjuguer une atmosphère de réclusion oppressante causée par l’enfermement dans une même salle, avec un suspense haletant qui retient l’attention du spectateur où la vie de l’adolescent accusé du meurtre de son père tient en seulement deux mots répétés douze fois : « not guilty » (non coupable).
Un exemple de la tension oppressante occasionnée et du rythme millimétré telle une horloge que Sydney Lumet parvient à mettre en place. Cette atmosphère est d’autant plus amplifiée par ses mouvements de caméras et l’utilisation de la lumière : on observe qu’au long du film, on débute par de nombreux plans d’ensemble pour se rapprocher progressivement des visages de chacun et finir sur des gros plans en contre-plongée témoignant la tension grandissante parmi les jurés. À deux, Sidney Lumet et Reginald Rose parviennent à nous tenir en haleine durant une heure et demie bien que l’on devine assez rapidement la fin du film.
Cette mise en scène au service du récit est rendue ce qu’elle est grâce à une distribution sans faute. Le film, bien que dominé par Henry Fonda, personnage principal car étant celui qui fera tout basculer, nous présente un jury interprété par des acteurs de grand talent, apportant toute l’authenticité à leur rôle respectif. On se doit de s’arrêter sur Henry Fonda, à son choix de costume blanc, symbole de pureté et d’innocence, impérial dans rôle, qui démontre que la seule chose sûre dans chaque preuve et chaque témoignage, c’est qu’il y a un doute, apportant ainsi cette dimension philosophique à ce film d’origine policier. C’est par ailleurs autour de chacun de ces doutes que le récit va se nouer et ces douze hommes en colère nous montrent ainsi leurs qualités et faiblesses, leurs émotions qui les emportent. Ce film policier/philosophique en vient alors à nous faire nous poser la question de ce qu’on ferait à leur place, de ce qu’on penserait et de comment on agirait. Douze hommes en colère, c’est une étude de caractère d’une densité rare, qui nous montre des changements de rapports de force entre ces hommes qui basculent subtilement par la force des convictions, tout cela grâce à cette distribution excellente et grâce à Henry Fonda, chef d’orchestre du débat.
SYSTÈME JUDICIAIRE
Le récit du film repose d’une façon générale autour de la notion du doute. Tout au long du film, Sidney Lumet et donc à travers lui, Henry Fonda, agissent comme maïeuticiens, installant le doute là où tout ne paraissait que certitude, et reposant ainsi la question indirectement de la peine capitale. Quand le jury numéro 8 déclare l’accusé non coupable, ça n’est pas qu’il est convaincu de son innocence, il le dit lui-même. Déjà, il souhaite laisser quelques minutes de réflexion et de vie à cet adolescent potentiellement condamné à mort, mais aussi, il n’est pas totalement convaincu de sa culpabilité. C’est ainsi que chaque preuve et témoignage de sa culpabilité va être ré étudié dans le moindre détail.
Grâce à ce bénéfice du doute qu’appelle Henry Fonda, Sidney Lumet attaque ici l’incompétence d’un avocat commis d’office ayant mal effectué son travail car moyennement convaincu de l’innocence de son client. Grâce à ce bénéfice du doute que clame Fonda, c’est un procès bâclé que le jury découvre peu à peu et qui permet la construction d’un débat construit progressivement, nous permettant d’en savoir plus sur chaque juré. La question qui se pose aux jurés ici n’est pas de savoir si l’accusé est coupable ou non, mais de savoir si assez d’éléments sont là pour être sûrs de ne pas envoyer un innocent sur la chaise électrique. Douze hommes en colère critique la peine capitale par l’intermédiaire de son plaidoyer pour une justice fondée sur la certitude.
L’enjeu du film est de savoir si la culpabilité ne fait aucun doute, Sidney Lumet pointe du doigt les failles béantes d’une justice laissant le choix de la vie ou de la mort d’un homme entre les mains de citoyens lambda à l’opinion toute faite, certains prêts à expédier une affaire complexe pour passer à autre chose. Il pose ainsi des questions essentielles sur le système judiciaire mis en place aux États-Unis, surtout autour des procès invoquant la peine capitale : Comment douze jurés tirés au sort qui ne connaissent pas l’accusé et à qui on a donné une vision bâclée des faits peuvent déclarer qu’un homme doit mourir ? Comment peut-on être certain de la culpabilité ou même de l’innocence d’un homme ? Au travers du film c’est ainsi la société américaine, ses attitudes et préjugés des jurés qui sont en procès ici, pas l’accusé. Le film parait d’ailleurs plus comme un essai philosophique sur le droit au bénéfice du doute qu’une attaque contre la justice mais il apporte malgré tout un vibrant plaidoyer pour une justice plus égalitaire qui malheureusement est toujours d'une effrayante actualité plus de 60 ans après la sortie du film.
ÉTUDE SOCIOLOGIQUE
Le groupe de jurés de Douze hommes en colères est composé, comme son nom l’indique, de douze hommes, dont on ne connait pas le nom, chacun a cependant un numéro et c’est à cela qu’on les reconnait. On apprendra leurs métiers et milieux sociaux également. On assiste à un panel assez équilibré de la société américaine, des catégories socioprofessionnelles, il y a des vieux, des moins vieux, des ouvriers, des cadres, un publicitaire, un panel de douze hommes avec leurs propres convictions qui ne pourront plus cacher leur neutralité d’opinion ce qui mettra à mal l’harmonie initiale mais alimente l’étude sociologique prévue par Sidney Lumet. Cette bataille intellectuelle et ces inévitables tensions sont restituées par l’interprétation irréprochable d’un casting masculin excellent.
Au début du film, c’est la chaleur qui va réveiller l’instinct et l’émotion de certains jurés, les poussant à vouloir en finir au plus vite et donc voter coupable, cette absence de bien-être vient alors réveiller l’énervement et les pulsions émotives de certains, amenant les premières tensions autour de la table. Si on ne connait quasiment rien de chacun au début du film, on en apprend de plus en plus, suivant les discours et réflexions ouvertes de certains, ou conversations privées qu’entretiennent certains jurés deux par deux lorsque les débats s’essoufflent, on commence à en apprendre de plus en plus sur l’individualité de chacun, racisme, origine immigrée, que l’un n’ait pas vu son fils depuis 2 ans, des informations qui apportent au débat et pose alors cette question par Sidney Lumet : peut-on réellement être neutre et rendre une décision véritable juste sans considération personnelle ? Ce sont ces apartés entre jurés lors des essoufflements de débats qui font avancer le récit, en décrivant l’individualité des jurés, leurs déclarations, attitudes, mêmes leurs mimiques ou réactions muettes. On voit que malgré leur groupe de jurés, chacun a sa personnalité, son avis, et chacun intervient de façon judicieusement millimétrée dans l’avancée du récit.
Le film est une brillante étude sociologique s’intéressant aux phénomènes de groupes, sur la force, le poids et la versatilité de l’opinion dominante. Mais Sidney Lumet s’intéresse surtout aux répercussions de ces phénomènes sur tout un chacun, montrant les différents comportements des jurés et leurs rôles dans le groupe : on observe un leader positif comme Henry Fonda du côté de la remise en question, un leader négatif, le juré avec qui le débat sera la plus corsé, les jurés les plus dominants, d’autres plus dominés, influents, ou influençables… tous se comportent différemment en groupe que ce soit en tant que membre ou en tant qu'individu à part entière. Ainsi, Sidney Lumet a vu en Douze Homme en Colère le but non pas de savoir si l'accusé est coupable ou non mais aussi d’observer ce qui va pousser chaque juré à penser coupable ou non coupable, comment va-t-il changer d’avis, de son plein gré ou influencé par un discours convaincant.
DOUZE HOMMES EN COLÈRE DE NOS JOURS
Douze hommes en colère est le premier film de Sidney Lumet et très probablement le meilleur film judiciaire et de procès de l’Histoire. Inspiration pour une grande quantité d’autres films, ce chef d’œuvre est un argument majoritaire au centre du débat sur la présomption d’innocence. Explorant le système judiciaire tout en apportant une portée philosophique aux questions qu’il relève, le film questionne notre morale et nos valeurs et ainsi transforme une pièce de théâtre policière en un film humaniste aux bords philosophiques par sa remise en doute permanente et son appel à la maïeutique, grand classique du septième art pour les cinéphiles, et film d’une grande actualité juridique plus de 60 ans après sa sortie, à mettre donc sous tous les yeux, peut-être plus particulièrement ceux des défenseurs acharnés de la peine capitale.
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