Réflexion sur ce qui se voit et ce qui ne se voit pas, "Les Lumières de la Ville" met en scène un couple mythique, incarné par une jeune aveugle et un vagabond. Coffignon a eu le plaisir de projeter ce chef d'oeuvre de Chaplin, dans le cadre du festival "Plein les yeux".
FICHE TECHNIQUE
Titre original | City Lights |
Année | 1931 |
Genre | Comédie dramatique |
Nationalité | Américaine |
Durée | 1h27 |
Réalisateur | Charlie Chaplin |
Scénariste | Charlie Chaplin |
Interprètes | Charlie Chaplin, Virginia Cherrill, Florence Lee, Harrys Myers |
SYNOPSIS
Un vagabond (Charlot) s’éprend d’une belle et jeune aveugle, vendeuse de fleurs démunie. À la suite d’un quiproquo, la fleuriste s’imagine que le vagabond est un homme fortuné. Peu après celui-ci sauve la vie d'un millionnaire excentrique qui, sous l'effet de l'alcool, lui donne sa voiture ainsi qu'une grosse somme d'argent. Tombé amoureux de la fleuriste, Charlot va alors tout faire pour l’aider financièrement, notamment pour une opération des yeux.
UNE FRESQUE ROMANESQUE A TRAVERS LE TEMPS
Impossible d’entamer cette critique sans parler du début magique des Lumières de la ville, qui sort à l’époque de la transition du muet au parlant. En effet, Charlie Chaplin semble avoir hésité entre réaliser son dernier film muet ou son premier film éloquent. Le film s’ouvre sur l’inauguration par un groupe de représentants municipaux, dont les voix ont été remplacées par des bruits de canards, d’un monument appelé « Paix et prospérité ». La bâche tombe et révèle, endormi dans les bras de la « Prospérité », un malheureux vagabond qui n’est autre que Charlot. Après être descendu de la statue non sans difficulté, il fuit la foule en colère. On ne peut que se demander si Charlie Chaplin n’y a pas inséré là une métaphore : le monde du cinéma inaugurant le cinéma parlant, Charlie Chaplin reste là pour déclarer que non, ils ne se débarrasseront pas de lui si facilement, et qu’il peut encore incarner la Prospérité.
SUBLIMER LE FILM MUET POUR CONTOURNER LE FILM PARLANT
Ainsi, Les Lumières de la Ville marquent le dernier film muet de Charlie Chaplin, mais aussi le début de la fin de Charlot le vagabond, célèbre personnage de fiction, interprété par l'acteur depuis les années 1910. Il fera sa dernière apparition dans Les Temps Modernes en 1936. Face à l'arrivée du cinéma parlant, Chaplin trouve un compromis : il décide de réaliser un film muet mais sonore pour accompagner le film avec la musique et le bruit. Évidemment le son n'est pas utilisé comme moteur narratif, mais comme objet de gag. Il n'est pas nié, il est même exploité ; quand Charlot avale un sifflet ou joue avec le gong du ring de boxe, ou encore quand il accompagne de bruitages l’aspiration de ses spaghettis. L'absence de parole sublime le jeu des acteurs, soit sur un fond de musique enchanteur, soit dans un silence, beau et riche. Et en ce qui concerne la relation qu'entretiennent Charlot et la fleuriste, tout se fait si délicatement et simplement que peu de mots suffisent. Aucun dialogue ne vient troubler la beauté de la pellicule. Chaplin est un esthète et le prouve par ce choix artistique audacieux.
DU RIRE AUX LARMES
Charlie Chaplin nous offre une alternance équilibrée entre comique et mélodrame. Spécialiste des gags à répétition, il n'hésite pas à s'en servir soit pour le principe même nous faire rire, soit même en enchaînement après une scène dramatique, rendant la situation encore plus comique par effet de contraste. Chaplin jongle entre blagues sarcastiques et quiproquos incongrus. Le film a cependant son lot de scènes dramatiques, avec une intensité des émotions ressenties dans chaque scène du genre. On retrouve aussi des scènes comme un sauvetage de suicide qui se transforme en concours de plongeons ou encore un moment émouvant entre Charlot et la fleuriste s'enchaînant avec Charlot recevant un pot de fleurs sur la tête. Enfin les mimiques irrésistibles de Charlie Chaplin le rendent très précieux au match de boxe où il est plus habituel de voir de la virilité assumée.
UNE CRITIQUE SOCIALE SECONDAIRE ET NON CULPABILISATRICE
Un film peut être une œuvre sociale et amener l'artiste à exposer son point de vue sur le monde. Ici Charlie Chaplin nous présente bien une critique sociale et montre une part de la cruauté du monde réel, tout en nous épargnant un discours sur l'exclusion. Il nous expose un échantillonnage des travers de la société sans exagération et sans misérabilisme, la vanité et l’égoïsme d’un milliardaire qui exclue les pauvres sans ménagement, l’indifférence de la foule, l’injustice lorsque la police enferme un innocent. Charlie Chaplin sait gratter sans attaquer. Le film présente un scénario en deux volets : d'un côté, la relation entre Charlot et son ami milliardaire qui l’oublie et le maltraite une fois qu'il n'a plus d'alcool dans le sang, montrant une solidarité pratiquée par égarement et une illusion heurtée à la réalité. En parallèle, on a la relation entre Charlot et la fleuriste aveugle, tous deux démunis mais emplis de l'humilité la plus touchante, une relation d'une simplicité admirable. Ainsi, on observe une réelle coupure sociale entre les « démunis » et les autres, et Charlie Chaplin donne à voir la vraie richesse des sentiments.
HOMMAGE AU GENIE DE CHAPLIN
Les Lumières de la Ville a été un triomphe international. A l’arrivée du cinéma parlant, Chaplin a réalisé un chef d’œuvre, peut-être son œuvre la plus drôle et la plus émouvante, digne de Chaplin, digne de Charlot, clown au grand cœur. Non sans ironie, c’est avec une histoire de cécité que Chaplin reconquiert un public lassé de ne pas entendre. Une histoire belle et simple, dans un contexte historique et social très lourd (deux ans après la crise de 1929). Avec une inventivité inouïe dans ses gags et un rythme musical superbe qui nous tient accroché tout au long du film et sert même de dialogue, on est dans une ambiance théâtrale au cinéma. Les Lumières de la Ville est un film équilibré jusqu’au moindre détail, de la position de la caméra jusqu’au jeu d’acteur. Par l’importance du gag chorégraphié au millimètre, Charlie Chaplin nous offre un Charlot aux mimiques perfectionnées, un héros qui ne l’est que pour le spectateur, et qui reste un inconnu pour le compagnon devenu sobre ou la femme ayant recouvré la vue. Charlie Chaplin était un génie multiforme (réalisateur, acteur, compositeur, etc), Les Lumières de la Ville est une des multiples expressions de son génie, sans la portée et les aspects visionnaires des «Temps Modernes » ou de « Dictateur ». Les Lumières de la Ville est un film à l’humanité touchante, d'une grâce qui n’appartient qu’à Charlie Chaplin.
Emmanuelle Flahault
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